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Emploi des seniors : et si on lançait un « new deal social » ?

09/04/2024

 La petite musique a commencé à se faire entendre dès le mois de décembre dernier. Dans une série d’interviews, Bruno Le Maire s’est montré clair sur ses intentions : « Il faut accélérer et tenir la ligne des transformations structurelles de notre modèle économique et social », affirme-t-il alors.

Le ministre de l’Economie apporte des précisions concernant les salariés seniors : « Le fait que les plus de 55 ans soient poussés vers la sortie bien avant leur retraite est un véritable gâchis. Là aussi, il faut des propositions nouvelles. » Et le locataire de Bercy d’en lancer une parmi d’autres : « Nous pourrions par exemple ouvrir la possibilité à une personne de plus de 55 ans d’avoir un contrat aux quatre cinquièmes de son temps, rémunéré à 90 % et avec 100 % de sa cotisation pour la retraite ».

Que le sujet de l’emploi des 55-64 ans revienne sur la table, après n’avoir été que partiellement abordé pendant la réforme des retraites, constitue en soi une bonne nouvelle. Mais en vieux serpent de mer, il pourrait à nouveau disparaître dans les hauts-fonds des initiatives avortées tout aussi rapidement qu’il avait refait surface. Il y a pourtant urgence : avec un taux d’emploi des seniors de seulement 57 %, comme vient de le rappeler l’Unedic dans une étude, la France se situe largement en-dessous de la moyenne européenne, bien loin des champions que sont par exemple les Scandinaves. Le débat est donc relancé.

En janvier dernier, le gouvernement a réuni les huit principales organisations syndicales pour leur demander de plancher jusqu’à fin mars sur un « Nouveau pacte de la vie au travail ». A raison d’une à deux réunions par semaine, dans les locaux du Medef, chacun y est allé de ses propositions sur des sujets comme la création d’un Compte épargne temps universel (CETU), les parcours professionnels, la reconversion, la pénibilité et donc l’emploi des seniors.

Fin mars, un consensus devra avoir été trouvé pour aboutir à un accord, comme le demande l’exécutif. Côté patronal, les trois organisations (Medef, CPME, U2P) ont décidé de pousser la création d’un CDI senior destiné aux 60 ans et plus, en recherche d’emploi. Le dispositif inclurait un contrat avec une date de fin fixée selon l’âge du taux plein du salarié embauché. Avec l’avantage pour l’employeur d’avoir une visibilité sur la date de départ, et donc de pouvoir anticiper. Mais l’idée ne convainc pas plus que ça les autres organisations.

Il est pourtant plus que temps d’avancer concrètement sur ce sujet. Et si possible avec ambition, en lançant – pourquoi pas – un « New Deal social ». L’emploi des seniors doit être enfin abordé comme une opportunité et non une contrainte. L’économiste Jean-Hervé Lorenzi en a d’ailleurs mesuré dans une étude tous les bénéfices : en « injectant » dans le marché de l’emploi 800 000 seniors et 400 000 jeunes d’ici 2032, il a calculé que notre croissance (PIB), serait boostée d’au moins trois points. De quoi apporter un financement complémentaire de 40 milliards d'euros pour ce fameux modèle social que le ministre de l’Economie entend réformer.

D’autant que les seniors ont de nombreuses qualités à faire valoir. De quoi déconstruire les stéréotypes qui ont la vie dure, dans la société en général comme dans l’entreprise en particulier: ils seraient peu agiles, notamment avec les nouveaux outils, pas assez souples, difficiles à manager… Autant de freins que la formation ou l’accompagnement permettent de faire aisément disparaître. Et qui ne pèsent finalement pas bien lourd face à un moindre absentéisme ou une culture d’entreprise largement assimilée. Et que dire de l’expérience, tellement précieuse qu’il n’est pas rare de voir des entreprises rappeler d’anciens collaborateurs dont elles s’étaient séparées un peu précipitamment ?

Les directions d’entreprises savent combien il leur est dommageable pour leur compétitivité de se séparer de leurs salariés les plus expérimentés. Elles y demeurent pourtant encore trop souvent contraintes par des logiques comptables, pour réaliser des économies sur leur masse salariale en périodes tendues. D’autant que de nombreux dispositifs négociés, temps partiel seniors et autres cessations d’activité anticipées, les y encouragent.

Une stratégie qui ne peut s’avérer à long terme que contreproductive. Un nouvel écosystème doit être pensé, où les seniors travailleront sans doute un peu moins, mais leur reconversion aura été largement anticipée en amont, et sans doute prise en charge. Le parcours du salarié n’y sera alors plus abordé uniquement d’un point de vue « vertical », où fort de ses acquis et de son expérience, il franchit les échelons au cours du temps, mais en posant également un regard « transversal », en identifiant à l’avance tous les postes potentiels au sein même de l’entreprise. Cela aura un coût certes, mais bien moindre que celui qui se profile aujourd’hui.

Catherine Balanca et Didier Cauchois